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Focus sur l’arrêt du 6 avril 2022 rendue par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation : nouvelle définition de l’infection nosocomiale ?

Le 15 juillet 2022
Désormais, l'infection nosocomiale possède une définition unique dans les deux ordres de juridictions.  L'infection nosocomiale est celle qui a été contractée au cours ou au décours de la prise en charge et qui a pour origine la prise en charge.  

Présente un caractère nosocomial une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge : l’existence de prédispositions pathologiques et le caractère endogène du germe à l’origine de l’infection ne permettent pas d’écarter tout lien entre l’intervention réalisée et la survenue de l’infection. »

Civ. 1ère, 6 avril 2022, n°20-18513

 

FAITS

Le 26 décembre 2009, Monsieur X, présentant une fracture d’une cheville, a subi une ostéosynthèse pratiquée par M. [D] (le praticien) au sein d’une clinique.

Les suites opératoires ont été compliquées par un gonflement de la cheville et une inflammation nécessitant une nouvelle intervention, à l’occasion de laquelle les prélèvements réalisés ont mis en évidence la présence d’un staphyloccus aureus multisensible.

Les 16 et 25 mars 2015, après avoir sollicité une expertise judiciaire, Monsieur X a assigné en indemnisation la clinique, le praticien et l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

Par un arrêt en date du 9 juin 2020, la Cour d’appel de GRENOBLE a écarté le caractère nosocomial de l’infection post-opératoire à staphylocoque contractée par Monsieur X, survenue sur le site opératoire dans les jours suivants l’intervention chirurgicale, aux motifs que : 

-        il présentait un « état cutané anormal antérieur » caractérisé par la présence de plusieurs lésions ;

-        le germe retrouvé sur le site opératoire infecté correspondait à celui trouvé sur sa peau

-        son état de santé préexistant et son tabagisme chronique avaient contribué en totalité aux complications survenues d’après l’expert judiciaire.

Ainsi, le patient a été débouté de ses demandes contre l’ONIAM.

Le patient a formé un pourvoi en cassation.

La 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rendu son arrêt au visa des articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1, 1°, du Code de la santé publique.

D’une part, l’article L. 1142-1, I, alinéa 2 du Code de la santé publique énonce que :

 « les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère. »

 D’autre part, l’article L. 1142-1-1, 1°, du Code de la santé publique dispose que :

 « ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale, les dommages résultant d’infections nosocomiales dans ces établissements, services ou organismes correspondant à un taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales. ».

Au sens des dispositions précitées, doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge.

La Cour de cassation considère que la Cour d’appel de GRENOBLE a privé son arrêt de base légale.  

En effet, « par des motifs tirés de l’existence de prédispositions pathologiques et du caractère endogène du germe à l’origine de l’infection ne permettant pas d’écarter tout lien entre l’intervention réalisée et la survenue de l’infection ».

Si l’infection est survenue au décours d’un acte de soins alors l’infection nosocomiale ne peut être écartée.

Par conséquent, il ne sera pas possible d’invoquer l’état antérieur du patient.

I. La définition de l'infection nosocomiale donnée par la Cour de cassation inspirée de celle du Conseil d’état

 ·       La nouvelle définition adoptée par la Cour de cassation

 L’article R. 6111-6 du Code de la santé publique dispose que « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales ».

Selon le site internet du Ministère de la santé et des solidarités fait état de :

« Les infections nosocomiales sont les infections qui sont acquises dans un établissement de soins. Une infection est considérée comme telle lorsqu‘elle était absente à l’admission.

Lorsque l’état infectieux du patient à l’admission est inconnu, l’infection est classiquement considérée comme nosocomiale si elle apparaît après un délai de 48 heures d’hospitalisation.

Ce délai est cependant assez artificiel et ne doit pas être appliqué sans réflexion.

Ces infections peuvent être directement liés aux soins (par exemple l’infection d’un cathéter) ou simplement survenir lors de l’hospitalisation indépendamment de tout acte médical (par exemple une épidémie de grippe). »

Une infection est dite associée aux soins si elle survient au cours ou au décours d’une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive ou éducative) d’un patient, et si elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge.

CTINILS mai 2007. Définition des infections associées aux soins. Ministère de la santé, 11 pages.

Dans l’arrêt du 6 avril 2022, la Cour de cassation revient sur la notion d’infection nosocomiale ainsi que sur sa qualification.

 La Cour de cassation a repris dans les mêmes termes la définition de l’infection nosocomiale dégagée par le Conseil d’état dans un arrêt du 23 mars 2018.

Dans son arrêt du 23 mars 2018, le Conseil d'État a décidé de préciser sa définition de l'infection nosocomiale en y ajoutant : « sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge ». (CE 23 mars 2018, n° 402237).

Ainsi, l'infection est celle qui survient pendant ou à la suite de la prise en charge et même si l'infection survient au cours ou au décours de la prise en charge. Pour ce faire, il faut prouver que l'infection a une « autre origine que la prise en charge ».

L’arrêt de la Cour de cassation fait écho à un arrêt récent du Conseil d’État (CE, 1er février 2022, n° 440852), la Cour de cassation a estimé que :« doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge. »

Il n’y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, avait le caractère d’un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante.

Dans cet arrêt la Cour de cassation confirme une appréhension extensive de cette notion d’infection nosocomiale.  

L’arrêt de la Cour de cassation n’est pas un copié-collé de la jurisprudence du Conseil d’état.

En effet, il s’en distingue. La haute Juridiction de l'ordre judiciaire n’a pas différencié entre le caractère endogène de l’infection, c’est-à-dire que les germes proviennent du patient lui-même, ou exogène de l’infection, c’est-à-dire que les germes ont une origine étrangère au patient. (Cass., Civ. 1ère, 4 avril 2006, n°04-17491).

 « Attendu, d’abord, que la responsabilité de plein droit pesant sur le médecin et l’établissement de santé en matière d’infection nosocomiale n’est pas limitée aux infections d’origine exogène ;

Qu’ensuite, seule la cause étrangère est exonératoire de leur responsabilité ; que la cour d’appel ayant constaté que c’était l’intervention chirurgicale qui avait rendu possible la migration du germe saprophyte dans le site opératoire et que la présence de ce germe sur la patiente elle-même constituait une complication connue et prévisible nécessitant, pour y remédier, une exploration de la sphère oto-rhino-laryngologique, a pu en déduire que l’infection survenue ne présentait pas les caractères d’une cause étrangère ; que les moyens ne sont donc pas fondés ».

Par conséquent, l’origine du germe importe peu et seul le rattachement aux soins compte (Cass., Civ. 1ère, 21 juin 2005, 04-12066).

 

·       L’apport de la preuve lors de la survenue d'une infection nosocomiale

Pour s’exonérer de leur responsabilité, les établissements de santé et l'ONIAM peuvent apporter la preuve que l'infection n'a pas pour origine la prise en charge du patient.

Ils devront rapporter la preuve d'une cause étrangère à cette prise en charge.

La preuve sera difficile à rapporter car le lien, même s’il est minime, entre la prise en charge et l'infection impliquera que cette dernière sera qualifiée de nosocomiale.

 

II. Les caractéristiques de l’éventuelle infection nosocomiale

 

·       Les prédispositions du patient sont-elles à prendre en compte pour apprécier l’éventuelle infection nosocomiale ?

La Cour de cassation a déjà répondu par la négative.

Il s’agissait, en l’occurrence, de l’âge du patient qui majorait les risques d’infection :

 « le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ».

(Cass., Civ. 1ère, 28 Janvier 2010, n° 08-20571)

La Cour d’appel de GRENOBLE n’a pas convaincu la Cour de cassation avec ses motifs (Civ. 1ère, 6 avril 2022, n°20-18513).

En effet, elle s’était focalisée sur l'état cutané du patient antérieurement à l'intervention en constatant la présence de plusieurs lésions.

Cependant, la Haute juridiction a rappelé sa jurisprudence constante de ne pas tenir compte de l'état préexistant du patient pour caractériser l’infection nosocomiale, dès lors que l'infection résulte des actes de prévention, de diagnostic et de soins.  

L'établissement de santé ou l'ONIAM en est responsable de plein droit (CE 12 mars 2014, req. n° 358111 ; Civ. 1re, 14 avr. 2016, n° 14-23.909).

 

·       L’origine du germe doit-elle être prise en compte pour apprécier l’éventuelle infection nosocomiale ?

La Cour d'appel de GRENOBLE a pris en compte le fait que le germe retrouvé au niveau du site opératoire correspondait à celui trouvé sur la peau du patient.

Elle a donc considéré que l'infection était endogène et qu'elle ne devait dès lors pas être indemnisée.

Cependant, la Cour d’appel a méconnu la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1ère, 4 avr. 2006, n° 04-17.491) et celle du Conseil d'État (CE 10 oct. 2011, n° 328500).

 

·       L’état de santé du patient doit-il être pris en compte pour apprécier l’éventuelle infection nosocomiale ?

La Cour d'appel de GRENOBLE a pris en compte le rapport d'expertise qui, outre l'état de santé préexistant du patient, s'était fondé sur son tabagisme chronique.

Si la faute du patient peut être prise en compte pour diminuer la réparation, elle n’est pas de nature à justifier que l'infection en cause ne soit pas qualifiée de nosocomiale (Civ. 1ère, 8 févr. 2017, n° 15-19.716).

Par conséquent, les motifs utilisés par la Cour d'appel de GRENOBLE étaient insuffisants pour justifier que l'infection subie par le patient soit qualifiée de nosocomiale.

La Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt.

 

Ainsi, l'infection nosocomiale possède une définition unique dans les deux ordres de juridictions.  L'infection nosocomiale est celle qui a été contractée au cours ou au décours de la prise en charge et qui a pour origine la prise en charge.

  

Article rédigé avec ESCOLANO Estelle, élève avocate à l’EDASE et stagiaire au sein du cabinet.