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Focus sur l'arrêt du 1er février 2022 du Conseil d'Etat : élargissement de la notion d'infection nosocomiale et conséquence de la perte du dossier médical

Le 21 mai 2022
Définir la notion d'infection nosocomiale de manière élargie et évaluer les conséquences de la perte du dossier médical du patient. Le Conseil répond à ces deux problématiques dans un arrêt récent.

Conseil d’Etat, 5èmes et 6èmes chambres réunies, 1er février 2022, N°440852

FAITS

Le patient, souffrant d’une maladie chronique de l’intestin, est admis en urgence au CHU de Rennes, avant d’être transféré à l’hôpital Saint-Louis de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (APHP).

Le 1er mai 2009, une colectomie est effectuée mais implique la réalisation d’une colostomie. Le 6 mai 2009, le patient présente une rétractation de sa colostomie.

Cette complication provoque une péritonite aiguë généralisée. Le patient est de nouveau opéré, mais a subi de nombreuses séquelles du fait de la péritonite.

Par un jugement du 10 juillet 2018, le Tribunal Administratif de Rennes a conclu à une péritonite présentant les caractères de l’infection nosocomiale. Le juge administratif met à la charge de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) le versement de 111 962 euros au titre de la solidarité nationale.

L’ONIAM interjette appel et la Cour d’Appel de Nantes, dans un jugement en date du 2 avril 2020, annule l’arrêt du Tribunal Administratif.

Le patient se pourvoit alors en cassation devant le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat rend son jugement le 1er février 2022, casse l’arrêt de la Cour d’Appel de Nantes et se positionne sur deux problématiques importantes en droit de la santé.

 

I – L’infection nosocomiale : qu'est ce que c'est ?

Un patient peut contracter différents types d’infections.

Lorsqu’il est pris en charge au sein d’un établissement de santé (hôpital, clinique…) ou par un professionnel de santé libéral (cabinet), il peut contracter une infection que l’on nomme « infection nosocomiale ».  

Aux termes de l’article L1142-1-1 du Code de la Santé Publique : « Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale :1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ».

En vertu de ce texte, l’ONIAM prend à sa charge les infections nosocomiales les plus graves, c’est-à-dire celles qui ont un pourcentage de gravité supérieur à 25%, au titre de la solidarité nationale.

Cette infection, pour être caractérisée de « nosocomiale », doit remplir plusieurs critères selon une définition précise.

En l’espèce, le Conseil d’Etat rappelle cette définition de l’infection nosocomiale : « Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens de ces dispositions une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. »

Une infection est donc « nosocomiale » lorsqu’elle est contractée par le patient au cours de la prise en charge et lorsque cette infection n’était ni présente, ni en incubation, au moment cette prise en charge.

Dans cette espèce, la Cour d’Appel de Nantes avait annulé le jugement du Tribunal Administratif parce qu’elle ne retenait pas le caractère « nosocomial » de l’infection, à savoir la péritonite.

Mais pourquoi ?

Elle considérait que l’infection avait pour origine une complication habituelle de la pathologie dont souffrait le patient, cette complication était constitutive d’un accident médical non fautif. Ainsi, selon la Cour, l’infection qui trouvait sa cause dans un accident médical non fautif ne pouvait pas être une infection nosocomiale.

Le Conseil d’Etat (plus haute juridiction de l’ordre administratif) a annulé cet arrêt de la Cour d’Appel de Nantes. A l’inverse de la Cour, le Conseil d’Etat rappelle la définition de l’infection nosocomiale et inclut ainsi dans cette définition toutes les infections dont l’origine est un accident médical non fautif.

En effet, l’accident médical non fautif n’empêche pas l’infection d’avoir été contractée, selon les critères, au cours de la prise en charge du patient alors que celle-ci n’était, ni présente, ni en incubation au moment de celle-ci.

Dès lors, l’infection, même celle qui trouve son origine dans un accident médical non fautif doit être regardée comme étant nosocomiale, lorsqu’elle remplit les critères de la définition.

Le Conseil d’Etat considère que la Cour d’Appel a commis une erreur de droit. Cette conception du Conseil d’Etat est favorable pour les patients, puisqu’elle élargit le champ de l’infection nosocomiale.

Ainsi, plus de personnes pourront prétendre à une indemnisation automatique par l’ONIAM, qui se fera de façon bien plus rapide que les indemnisations ordonnées par un juge.

 

II – Le dossier médical, Saint Graal de la preuve en droit médical

Le dossier médical est, comme son nom l’indique, un dossier où toutes les pièces médicales du patient sont rassemblées.

Ce dossier est élaboré et conservé par l’établissement de santé ou le professionnel de santé.

Cela constitue même une obligation pour eux.

En effet, selon l’article R1112-7 du Code de la Santé Publique, « Les informations concernant la santé des patients sont soit conservées au sein des établissements de santé qui les ont constituées, soit déposées par ces établissements auprès d'un hébergeur dans le respect des dispositions de l'article L. 1111-8.

Le dossier médical mentionné à l'article R. 1112-2 est conservé pendant une durée de vingt ans à compter de la date du dernier séjour de son titulaire dans l'établissement ou de la dernière consultation externe en son sein. Lorsqu'en application des dispositions qui précèdent, la durée de conservation d'un dossier s'achève avant le vingt-huitième anniversaire de son titulaire, la conservation du dossier est prorogée jusqu'à cette date. Dans tous les cas, si la personne titulaire du dossier décède moins de dix ans après son dernier passage dans l'établissement, le dossier est conservé pendant une durée de dix ans à compter de la date du décès. Ces délais sont suspendus par l'introduction de tout recours gracieux ou contentieux tendant à mettre en cause la responsabilité médicale de l'établissement de santé ou de professionnels de santé à raison de leurs interventions au sein de l'établissement. »

La perte du dossier médical peut avoir de graves conséquences pour le patient qui se retrouve privé d’une grande partie des preuves qu’il peut obtenir.

Les juges, notamment ceux de la Cour de cassation (haute juridiction de l’ordre judiciaire), ont déjà pu juger que la perte du dossier médical ou d’une partie du dossier médical par l’établissement de santé entraînait une perte de chance pour le patient de prouver la faute du praticien (Cass, 13 décembre 2012, N°11-27347 et 26 septembre 2018, N°17-20143).

Ainsi, la perte de tout ou partie du dossier médical constituait une faute de l’établissement ou du professionnel de santé.

Néanmoins, le Conseil d’Etat va adopter une conception différente. En l’espèce, il va considérer que même si l’APHP n’a pas respecté cette obligation et n’a pas été en mesure de fournir l’entièreté du dossier médical du patient, cela ne constitue pas une faute en soi.

En effet, les juges considèrent que le fait de ne pas fournir tout le dossier médical n’est pas de nature à établir la preuve d’une faute de l’établissement de santé dans la prise en charge du patient.

La perte de tout ou partie du dossier médical n’a aucune incidence sur la preuve dont le patient voulait se prévaloir.

Néanmoins, le CE rappelle que les juges doivent prendre en compte les lacunes du dossier médical dans l’appréciation de l’existence des fautes reprochées à l’établissement dans la prise en charge du patient.

En l’espèce, cela avait bien été respecté par la Cour d’Appel de Nantes, elle n’a donc pas commis d’erreur de droit.

Selon le Conseil d’Etat, la perte du dossier médical pourra constituer une faute selon les cas, mais pas de façon générale.

En conclusion, si le Conseil retient d’un côté une définition élargie de l’infection nosocomiale, qui va permettre à plus de patients d’obtenir une indemnisation de la part de l’ONIAM, il ferme, d’un autre côté, une porte aux patients qui seront potentiellement dans l’incapacité d’apporter une preuve, faute de dossier médical complet.

Co-écrit avec Lalie RIVERAIN, étudiante stagiaire en MASTER 2 Droit de la santé.